Déficit public : « Il y a encore du travail à faire avec les milliardaires et cela ne peut être résolu qu’à l’échelle mondiale »

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Déficit public : « Il y a encore du travail à faire avec les milliardaires et cela ne peut être résolu qu'à l'échelle mondiale »

Alexandra Roulet, professeure adjointe d’économie à l’INSEAD et ancienne conseillère économique d’Emmanuel Macron, se penche sur l’état des finances publiques et sur l’opportunité d’augmenter les impôts.

Une partie de la majorité entend remettre en cause le tabou sur la hausse des impôts compte tenu de l’état de nos finances publiques. La situation l’exige-t-elle ?

Nos finances publiques constituent un gros problème, mais nous ne devons pas céder à l’anxiété. Notre dette reste attractive sur les marchés, même avec la hausse des taux d’intérêt. Il faut penser à des solutions plausibles à moyen terme sans être drastiques, tant en termes de dépenses que de recettes. La France peut réfléchir aux impôts, mais les augmenter me semble une mauvaise idée, car cela annulerait la victoire politique et économique remportée par le gouvernement en maintenant cette ligne malgré une pression constante depuis 2017. La question des recettes peut être posée différemment.

À quoi penses-tu?

Par exemple, on pourrait retarder les futures baisses d’impôts, comme celle promise pour la classe moyenne, qui n’est pas indispensable. Pour moi, la question la plus fondamentale est la fiscalité des multinationales et des milliardaires au niveau international, et derrière elle la question de la capacité des gouvernements à générer des revenus à partir d’assiettes fiscales de plus en plus mobiles. Cela concerne tous les pays : le taux moyen d’imposition des sociétés dans le monde était de 40 % dans les années 1980. C’est 20% aujourd’hui.

En contrepartie, la TVA [value-added tax] que tout le monde paie, y compris la classe moyenne, a augmenté partout. Les bénéfices des sociétés multinationales et la richesse des ultra-riches sont très mobiles, alimentant une concurrence fiscale qui érode la capacité des gouvernements à les imposer. L’impôt minimum sur les sociétés a en partie répondu à la problématique des grandes entreprises. Mais il y a encore du travail à faire avec les milliardaires, et ce problème ne peut être abordé qu’à l’échelle mondiale, même si cela prendra du temps. Une partie de leurs dividendes est détenue dans des sociétés écrans pour éviter l’impôt. Certains milliardaires appellent à l’action !

Il faut se garder de surestimer l’efficacité de ce type de mesures, qui ne résoudraient pas notre problème de finances publiques. Les montants semblent astronomiques – on parle de 40 milliards d’euros pour l’Europe – mais ce que chaque pays récupérera sera finalement bien inférieur. J’imagine que ce serait plus proche de 5 à 10 milliards d’euros pour la France. A titre de comparaison, la TVA s’élève à 200 milliards d’euros !

L’État a apporté une aide massive et homogène aux acteurs économiques lors des deux crises. Un « impôt de guerre », par exemple sur des gains extraordinaires, peut-il être justifié ?

Je comprends pourquoi on se pose la question, mais il y a un vrai bénéfice à tirer de la stabilité fiscale, et les obstacles sont nombreux : quand on a voulu taxer les entreprises énergétiques, on s’est rendu compte à quel point il était difficile de mesurer les profits des hydrocarbures, qui sont pas nécessairement situé en France. Par-dessus tout, nous devons nous préparer à agir avec plus de détermination lors des crises futures. Pendant la pandémie de Covid-19, le gouvernement français, comme le gouvernement américain, a protégé tout le monde car il fallait agir rapidement. Mais la probabilité d’un nouveau choc énergétique est nulle et nous devons désormais commencer à concevoir des solutions techniques qui donneront la priorité à ceux qui en ont le plus besoin.

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